Cet article est une contribution au laboratoire d’idées « Vers un monde meilleur ». Ses membres publient une fois par mois un article sur un thème commun. Ce mois-ci, je suis l’organisatrice avec le thème « s’approprier et partager sa maison ». Ce thème me tient particulièrement à cœur, car la question de comment vivre en famille, en couple, ou travailler ensemble, est à la base de toutes mes réflexions lorsque je conçois un espace à partager.
Quand j’étais petite, et que je n’étais pas d’accord avec certaines règles de la maison, je me suis souvent entendu dire que “je n’étais pas chez moi”, et que je ferais ce que je voudrais le jour où je serai chez moi. Il va sans dire que cette idée de ne pas avoir de chez moi ne me convenait pas.
Lorsque j’ai quitté le nid familial pour mes études, j’ai enfin pu organiser ce “chez-moi” selon la logique qui me correspondait. Mais très vite, mon Cher-et-Tendre est venu s’installer dans mon nid et nous avons dû nous adapter l’un à l’autre. J’ai dû m’adapter à la montagne de choses qu’il rapportait à la maison, (ah, la passion des brocantes ! ) en essayant, systématiquement, de trouver des règles de rangements pour que tout rentre, et tout est toujours rentré. Lui, a dû s’adapter à toutes ces règles qui s’ajoutaient l’une à l’autre au fur et à mesure que la maison se remplissait. Ces règles, aussi ingénieuses soient-elles, n’ont pas toujours été respectées, ni par lui, ni par moi : nous avons beau adorer notre maison lorsqu’elle est bien rangée, nous sommes ce que l’on pourrait appeler “génétiquement bordéliques” et nous devons lutter contre notre nature
à lire : Ce que dit votre façon de ranger (ou pas) votre maison
Nous avons habité 4 appartements en location avant de devenir propriétaires. Dans chacun de ces appartements, et alors que ça n’était pas encore mon métier, j’ai toujours imaginé des solutions pour y ajouter du rangement ou de la fonctionnalité : les habits seront là, dans cette cuisine je vais rajouter un plan de travail, dans ce salon un super bureau sur-mesure…
En réalité, je n’en avais pas encore conscience, mais tous ces nouveaux mobiliers ou nouvelles règles que je créais, étaient imaginés uniquement par rapport à des problèmes qui étaient les MIENS. Pas les nôtres : les miens. Tout ce qui concernait l’organisation de la maison, c’était mon domaine de réflexion. Non pas que Cher-et-Tendre n’en profitait pas, mais, simplement, qu’il était exclu de la réflexion de base.
Une prise de conscience très tardive.
Il a fallu attendre que mon fils ait 5 ANS (soit … 10 ans de vie commune …).
Le jour où j’ai réalisé qu’il faudrait encore patienter des années pour qu’il puisse prendre sa douche seul.
Ce jour-là, j’ai enfin pris conscience que cette sdb que j’avais conçue, je l’avais conçue uniquement en pensant à MOI. Cette superbe douche en béton ciré, avec ce robinet design à hauteur d’adulte, que même mon époux ne pouvait utiliser sans transformer la sdb en piscine … le problème ne venait peut-être pas d’eux … mais de ma conception.
J’étais alors enceinte de notre 2e enfant, et j’ai réalisé que cette douche allait être un enfer à utiliser avec une baignoire à bébé. Que, moi, je ne rêvais que d’une chose : une baignoire. Un bain. Un truc facile à entretenir. Qui ne pourrait pas déborder.
De ce jour là, j’ai pris conscience de l’importance d’inclure les besoins de chaque membre de la famille dans la réflexion d’une pièce, tout comme d’une maison.
Dans ma nouvelle sdb, j’ai choisi une baignoire gain de place qui ait l’avantage d’être à la dimension idéale pour y plonger 2 marmots, et la largeur exigée pour être à l’aise en tant qu’adulte pour la douche quotidienne.
à lire : Comment s’offrir une vraie sdb familiale dans moins de 4m²
De ce jour-là, je n’ai plus jamais regardé mon métier comme avant.
J’ai designé pour mon fils, un lit en hauteur, qui soit
- suffisamment haut pour qu’il puisse jouer dessous,
- tout en étant pas trop haut pour être, pour moi, “à hauteur de bisou” le soir : en incluant un hublot à bisou au niveau de sa tête couchée et de la mienne debout.
- J’ai pensé à la facilité que lui comme son père et moi devions avoir à monter dans le lit, pour se coucher, y faire un câlin, ou changer les draps. (exit, l’échelle)
J’ai enfin pris conscience de l’importance de mettre en évidence nos besoins différents pour l’utilisation individuelle d’un même mobilier, d’un même espace.
J’étais devenue une cohabitante consciente.
La cohabitation, dans toutes les pièces de la maison.
J’ai alors pu réaliser et corriger toutes les erreurs du passé.
Dans la cuisine : pourquoi range-t-on, traditionnellement, les verres dans les meubles hauts ? C’est pourtant, typiquement, le genre d’objet utile et non dangereux, dont un enfant devrait pouvoir se servir seul ! Et hop ! les verres et les assiettes, dans les tiroirs du bas. Les tupperware, verres à pieds, et tasses à café, inutiles aux petites mains, dans les placards du haut !
Le grille-pain, le four, la bouilloire : ces objets sont-ils réellement dangereux et à mettre hors de portée des enfants ? Ne peut-on pas envisager de les éduquer, de leur faire confiance, de les faire grandir, au lieu de leur construire un espace hypothétiquement vide de tout danger ?
Dans le salon : Le lieu commun par excellence. Pourquoi s’imagine-t’on qu’il doit être dénué de toute trace d’enfant ? Non, les enfants ne restent pas dans leur chambre ! C’est un fait. Faisons avec ?
à lire : La place de l’Enfant et du Parent dans la maison et dans la ville
Prendre un problème. Le transformer en problématique. Trouver une solution.
C’est tout un état d’esprit.
Soit on se bagarre parce que le linge sale n’est jamais mis dans le bac à linge sale … soit on se demande POURQUOI il n’est jamais mis dans le bac à linge sale.
Bon. J’avoue, parfois, la réponse à ce genre de question peut aussi être “parce que c’est TROP DUR de mettre DANS le bac alors je le mets juste DEVANT le bac.” … autrement dit, difficile de cohabiter avec des bordéliques génétiques . Sauf que. Au lieu de chercher la réponse, ou de conclure trop rapidement qu’il n’y a PAS de réponse … une technique peut être, tout-à-coup, d’arrêter de se bagarrer, de se poser, et de poser la question à l’autre : que faut-il faire ? que proposes-tu ? J’ai l’impression que c’est trop compliqué de mettre ton slip jusque dans le panier. As-tu une solution ? Où préfèrerais-tu poser le panier ?
Autrement dit : inclure l’autre dans une nouvelle manière de réfléchir à l’utilisation individuelle d’un bien commun.
“Moi j’ai ça comme problématique. Toi tu as celles-ci. Qu’est-ce qu’on peut faire qui convienne à chacun ?”
Dans mon métier d’architecte d’intérieur
L’architecte d’intérieur est-il un psy ? Sans aucun doute. Il doit en tous cas comprendre la psychologie de CHACUN des membres de la maison, et non uniquement d’un seul membre du foyer.
Lorsque je suis appelée à repenser un habitat familial, j’impose un premier rdv qui soit une réunion où CHAQUE MEMBRE de la famille sera présent. Tous. même les bébés !
Je commence par faire un tour de la maison. Puis nous nous asseyons tous autour de la table, et j’explique pourquoi je suis là. Je demande ensuite à chacun de s’exprimer, sur ses envies, ses besoins, ses angoisses, ses problématiques. C’est un moment rare et précieux, où tous les membres d’une même famille se retrouvent à table. Non pas pour partager un repas, mais pour partager leur vision individuelle de cet habitat qu’ils ont en commun.
La prise de conscience d’un habitat à partager est alors beaucoup plus forte.
Puis, je vais laisser chacun vaquer à ses occupations, pendant que je relève un métré détaillé de chaque pièce de la maison. Ce moment me permet de m’imprégner très fortement des lieux lorsqu’ils sont habités, vivants. J’entends, d’une oreille, le ton des conversations des enfants et des parents. Je découvre l’ambiance. Ces moments sont particulièrement importants pour moi, et je m’en souviendrai forcément lorsque je serai face à mon plan d’état des lieux, recouvert d’une feuille de papier calque sur laquelle je vais imaginer un nouvel espace. Non pas pour moi, mais pour une famille. Qui n’est pas la mienne. Qui a des besoins bien spécifiques.
Dans votre réalité
Dans chacun de vos chantiers, que vous soyez architecte (d’intérieur) ou non, je vous conseille très fortement d’essayer ce petit jeu du “conseil de famille”. C’est précieux, amusant, et cela peut faire émerger une mine de problématiques – et donc de solutions. De solutions qui soient réellement pensées pour tous, adaptées pour chacun.
Vous refaites votre cuisine ? Pensez à tout ce qui ne va pas : pour vous, pour votre conjoint, pour vos enfants.
Vous aimez recevoir des amis ? Les avez-vous intégré à votre réflexion ? Même s’ils ne viennent qu’une ou deux fois par an : auront-ils un crochet pour suspendre leur serviette de bain, un emplacement pour leur trousse de toilette, un lit avec un minimum d’intimité, pour que vous puissiez vous aussi vous lever tout en sachant qu’ils sont en train de dormir ?
Vous en avez assez des chaussures qui traînent ? Avez-vous un bon emplacement pour leur rangement ? N’est-il pas trop encombré ?
Vous vivez en famille recomposée, avec des enfants qui ne sont pas là 365 jours par an : quels sont leurs attentes spécifiques, et les vôtres ?
Pour être certain de vous poser les bonnes questions, je vous invite à télécharger et utiliser le guide des 10 questions à se poser pour réussir son chantier
Pensez à la fois INDIVIDU HABITANT et tout en même temps, COMMUNAUTE de COHABITANTS !
En somme, apprenez à la fois à vous APPROPRIER ET à PARTAGER votre maison.
Et vous ? (Quand) avez-vous pris réellement conscience de ce statut de cohabitant ?
Super cet article! J’essaie aussi d’adapter la maison à mes petits, ce n’est pas toujours évident!
Merci Maïlys pour cet article plein de bon sens et d’expérience.
J’aime beaucoup le concept de COMMUNAUTE de COHABITANTS. Cela me fait penser aux maisons intergénérationnelles que l’on voit depuis quelques années et dans lesquelles cohabitent plusieurs générations (comme c’était le cas autrefois dans nos campagnes).
Ce dont nous sommes le plus fiers dans notre maison c’est d’avoir aménagé dans l’esprit Montessori :
– l’entrée afin que les enfants puissent s’asseoir pour mettre leurs chaussures seuls (grâce à un petit banc dont l’assise se soulève pour ranger les casquettes… à l’intérieur),
– la SDB où tout est à portée de main pour que les 2 loulous (6 et 10 ans) puissent se laver de façon autonome,
– la cuisine dans laquelle même si certaines choses sont en hauteur : ils arrivent quand même à mettre la table et à la débarrasser tout seuls en utilisant un marchepied.
Bravo aussi pour la transformation du T2 de 52 m² en T4 : c’est impressionnant.;-)
Merci Maïlys pour cet article emprunt d’humanité comme d’habitude. Bon pour les verres en bas dans la cuisine ce n’est pas pour nous, car ma fille (de 15 mois) adore les tiroirs avec les tupperware et casseroles qui ne craignent rien dans ses petites mains encore inexpérimentées (mais bien accrochées quand elle veut quelque chose :-) et d’autre part son géant de père de veut pas se mettre à 4 pattes pour attraper un verre… On dirait qu’ils vont rester dans le bas du placard du haut :-)
A bientôt !
Salut Sandrine ! Chez nous aussi le papa a eu du mal à s’adapter aux verres en bas ! Du coup comme la maison doit convenir à tout le monde, il y a les jolis verres un peu fragiles, pour les grands, en haut, (avec tasses à café), et les verres dépareillés, en pyrex ou en plastique, pour les enfants, en bas ! ;-)
« Le grille-pain, le four, la bouilloire : ces objets sont-ils réellement dangereux et à mettre hors de portée des enfants ? Ne peut-on pas envisager de les éduquer, de leur faire confiance, de les faire grandir, au lieu de leur construire un espace hypothétiquement vide de tout danger ? »
Il me semble que ce sujet est vraiment intéressant, et que parfois on peut avoir des difficultés à se positionner. Quand j’estime que le danger est grand, je crois que je suis très strict, même si les probabilité d’incident sont faible (effet signe noir). C’est le cas du risque de brûlure pour moi.
A la maison on est assez cool sur le reste. En particulier, plusieurs travaux de recherche en montré que pratiquer des jeux à risque en extérieur (comme grimper à un arbre) sont associés à de nombreux bienfaits sur la santé et le bien être. … et notamment à un plus faible taux d’accident, probablement car les enfants gère mieux les risques et connaissant mieux leurs limites.
Chez toi, comment fais tu la part des choses ? J’imagine que la réponse influence tes choix d’aménagement
Et bien, disons que… n’ayant pas de jardin, j’associe de manière très personnelle, mon bien-être au fait que je puisse faire la grasse matinée le week-end pendant que mes enfants lèvent-tôt se préparent (et me préparent) le petit déjeuner tous seuls, haha !
J’ai donc choisi l’option éducation / confiance. Ils se sont blessés de nombreuses fois en jouant dehors, mais jamais dans la cuisine ! ;-)